La mode du "no-email-Friday"

Le Droit de savoir by CÉOS

Jun 9 2022 • 12 mins

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Promesse ou réalité, est-il vraiment possible de se passer des mails le temps d’une journée par semaine ?

C’est en tout cas, la promesse du "no-email-Friday".

Cette mode apparue dans le début des années 2000 est-elle vraiment suivie de nos jours ?

Nous allons en parler à travers différentes questions :

  • qu’est-ce que le no-email-Friday ?
  • observe-t-on de nos jours un usage plus modérée des messageries professionnelles ?
  • cette mode, avec le recul, a-t-elle eu un véritable impact pour les salariés ?

Pourquoi et comment cette mode du « no-email-Friday » a-t-elle été lancée ?

On l'a dit tout à l'heure au début des années 2000 par les Américains. En premier lieu, ça a été repris par les Anglais, très friands de ces effets de mode notamment. Il y avait déjà eu à l'époque la journée du vendredi pour s'habiller à la cool. Contrairement aux autres jours de la semaine où on s'habillait de façon plus stricte d'où le fameux friday wear. Donc on reste un peu dans cette dynamique.

Au delà de cette mode marrante quelque part le No Email Friday, est ce que ça ne nous amène pas à nous poser la question de l'usage qu'on fait de nos mails, de nos messageries professionnels ? Est-ce que vous avez un conseil très pratique à nous donner sur l'usage que nous faisons de nos emails ?

Le risque de tomber dans l'excès d'utilisation des messageries professionnelles est réel. De nombreux salariés se plaignent de l'infobésité que constitue l'abondance des emails, beaucoup d'emails qui n'apportent pas de valeur ajoutée dans leur origine et dans la raison pour laquelle ils ont été envoyés. Donc le premier conseil, c'est d'abord d'identifier l'utilité. Est ce qu'avant d'envoyer un mail, je n'aurais pas intérêt à réfléchir à ce pourquoi je veux interroger ou je veux informer un interlocuteur, quel qu'il soit ? L'idée, c'est d'éviter aussi cet effet ping pong. Parfois,  un salarié envoie un mail et puis la personne va répondre "Qu'est ce que tu cherches à me dire ?" "Est ce que tu as besoin de moi ?" "Et je renvoie un mail ?" Oui, bien sûr. Et donc pour simplement faire passer un message simple, on s'est échangé trois mails, quatre mails, ça a pris beaucoup de temps et ça n'a pas été forcément très percutant.

On va tous se reconnaître dans ce que vous décrivez, alors comment est-ce qu'il faudrait faire dans l'idéal ?

Il faut encore une fois limiter l'usage parfois trop excessif de la messagerie. Et puis après, il faut éviter de verser dans de mauvaises pratiques, par exemple en mettant trop de destinataires dans la liste de diffusion, alors même qu'ils n'ont pas à être visés ou qu'ils ne sont pas directement concernés. Donc, limiter le nombre de destinataires et rappeler à ceux que l'on mettrait en copie, que l'on cherche parfois simplement à les informer, pas forcément à ce qu'ils réagissent. Or, il y a beaucoup de gens qui ne vérifient pas, s'ils sont directement destinataires ou s'ils sont simplement en copie et ils vont se forcer à répondre ? Il n'y a pas d'utilité et pire, ils vont répondre non pas juste à la personne à qui le mail par qui le mail a été adressé, mais à toute la liste de diffusion. Et donc, vous imaginez si tout le monde répond à ce premier mail, on obtient une cascade et un flot de mails. Aucun intérêt.

N'y a-t-il pas dans le processus que vous décrivez, une peur d'être en dehors du circuit d'information ou une peur d'être mal vue par son supérieur hiérarchique si on ne répond pas ou une peur de ne pas laisser de trace écrite ? L'e mail, il y a quand même aussi beaucoup de choses autour du mail comme usage.

C'est vrai que les mails donnent l'impression pour les personnes qui en ont un usage assez excessif qu'il faut être totalement disponible, spontané et qu'on est chevillé à l'immédiateté de la réponse. Il faut déculpabiliser les gens. On peut très bien recevoir un mail, par exemple le lundi et n'y répondre que le mercredi s'il n'y avait aucune urgence à le faire précocement. Et vous avez raison de souligner qu'on a aussi un usage souvent détourné des emails. Plutôt que d'exprimer les choses oralement, on les signifie par écrit pour garder une trace de sa bonne foi ou pour se ménager des preuves en cas de récriminations. Le but étant de démontrer que je l'ai fait tel jour, à telle heure, de telle façon, je te l'avais précisé de telle manière.

Dans le cas présent, les emails sont moins utilisés pour une simple communication que pour se constituer des dossiers à charge.

Vous illustrez bien la facilité de limiter et de diminuer le nombre d'emails. Est-ce que ce serait bénéfique ? Je ne sais pas, moi, pour la production ou pour la qualité du travail des salariés ?

Oui, parce qu'on sait que le volume de mails reçus ralentit votre activité. C'est notamment le cas quand vous devez d'abord prendre connaissance d'un mail, puis ensuite prendre le temps d'y répondre. Vous avez forcément un temps qui est suspendu, un temps de productivité qui n'est plus tout à fait engagé. On peut aussi avoir des problèmes de compréhension. Imaginez, vous recevez un mail, vous devez le lire, puis vous ne comprenez pas. Très souvent, les gens vont faire quoi ? Ils vont prendre leur téléphone. Tiens, tu m'as envoyé un mail, est-ce que tu peux me le décrypter ? On rajoute de la lenteur à quelque chose qui n'est déjà pas très dynamique. Donc oui, ça va forcément impacter la productivité. Et quand il y a énormément de mails, ça devient très chronophage et on le comprend. Pour quel bénéfice à l'arrivée ?

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On entend souvent des salariés se plaindre quand ils rentrent de vacances en disant Ohlala, j'ai 1000 mails en attente, ça va me prendre trois jours pour les lire.

Quelles seraient les solutions pour éviter d'envoyer des emails tout en continuant à échanger parce que la communication est la base dans une entreprise ?

On peut transformer un peu nos modes opératoires en intégrant par exemple des messageries instantanées. On retrouve ces messageries instantanées au coeur de tout réseau social d'entreprise. Ça permet justement de fluidifier les échanges tout en désencombrant les boîtes de messagerie. On peut aussi limiter les stockages. Quand vous dites à quelqu'un qu'il est limité en terme de gigas de stockage pour ses emails. Bizarrement il y a moins de pièces jointes et il y a moins d'emails. En réalité, on va trouver des solutions transversales, comme aussi aller à la rencontre des gens. On a un peu oublié qu'on n'est pas fixé derrière son écran. On peut aussi prendre ses jambes et aller à la rencontre des gens, s'organiser aussi dans la journée pour avoir des moments clés d'échanges. Peut être que de réagir et d'échanger spontanément tout le temps n'est pas nécessaire. On peut très bien se dire je fais une pause au bout de 2 h et je vais directement voir quelqu'un et pendant dix minutes, on fait le point et ça peut limiter 40 mails.

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Donc on peut trouver des solutions, à l'image au moins la messagerie instantanée en se ménageant des pauses durant la journée.

De toute façon, il faut se ménager des pauses. Donc c'est l'occasion.

Autre point : on a souvent vu en bas des mails la mention "ne pas imprimer". Est ce que l'argument de l'empreinte carbone que représentent tous ces envois de mails peut être significatif ? Est-ce que cela peut faire sens pour les salariés ?

Oui, tout ce qui s'inscrit dans la transition écologique, le développement durable fait sens. On sait que tout ce qui relève du numérique est très énergivore, très gourmand de même que tout ce qui exploite les énergies fossiles. Et on sait que les serveurs, tout ce qui est stockage est énergivore. Si on veut baisser évidemment son empreinte carbone, ça fait sens que de diminuer très drastiquement l'usage de sa messagerie. Ce n'est pas juste quelques emails, c'est drastiquement cette politique de l'abondance, de l'infobésité, des emails. Donc en limitant nos serveurs, en limitant le nombre de messageries, en limitant le nombre d'envois, effectivement on aura un véritable impact sur son empreinte carbone au sein de son entreprise.

Est-ce qu'il serait utopique, j'imagine un peu un cas extrême, mais de se passer totalement de mails ?

Moi je suis de la vieille école. Je vous dirais - oui -  c'est utopique parce qu'à chaque fois qu'on a ajouté un produit qui visait faciliter la communication, on a eu du mal à l'abandonner totalement ensuite. Mais on peut tout à fait par contre se délier un peu de ce service en se disant voilà, est-ce qu'on n'en a pas fait un usage trop excessif ? Et si oui, comment peut-on en faire un usage plus modéré ? Aussi, je serais moins utopiste et plus pragmatique en faisant réfléchir les entreprises et les collaborateurs sur l'usage modéré qu'on peut avoir des messageries. Et en venant remplacer ce modèle de messagerie par d'autres modèles moins énergivores, moins chronophages, plus agiles et peut être même plus humains.

Et peut être même meilleurs pour la santé aussi, non ?

Ah oui, parce que les emails, on le sait pas trop, mais ça provoque souvent une anxiété, une angoisse. Alors il y a les emails qu'on n'a pas lu le vendredi soir avant de partir pour une réunion le lundi. Il y a la volonté de regarder sa messagerie, cette tentation de regarder sa messagerie le dimanche pour préparer sa semaine. Il y a aussi les téléphones. On va tous avoir nos messagerie sur nos smartphones en même temps que je consulte par exemple mon propre réseau social de particulier. Je vais quand même aller regarder ce qui se passe du côté de ma messagerie pour ne pas louper une occasion de répondre, une occasion de savoir. Et donc, oui, ça devient extrêmement anxiogène et du coup, ça implique une connexion permanente à sa messagerie. On perd le fil, on perd le nord et on en perd même la boussole.

Et on n'a plus cette déconnexion entre vie professionnelle et vie privée. Du coup, là, on va plutôt aller sur le volant prévention. Quels conseils donner aux salariés ?

Le premier conseil, c'est que ce qui relève du travail relève du travail. Donc, quand on a fini sa journée de travail, on arrête de lire ses mails professionnels. Il faut se contraindre à stopper la lecture des mails professionnels. Il y a des études d'ailleurs qui ont démontré la corrélation entre ce temps chronophage de lecture des emails en dehors du temps de travail, alors qu'il y avait aucun intérêt et les troubles que ça peut susciter chez les gens : troubles du sommeil, des maux de tête répétés, de la fatigue résiduelle, de l'anxiété, des problèmes digestifs ou même encore des problèmes musculaires ou cardiovasculaires. On voit que tout ça, fragilise à terme. Il faut donc déconnecter. Certaines entreprises ont carrément innover en ce sens. Plutôt que de compter sur les salariés, elles empêchent l'accès aux emails durant les week-ends, durant les congés ou en dehors des plages horaires professionnels. Comme ça, même si on est tenté, on est bloqué. Et il y a de fait moins de risques de lire ses mails en dehors de son travail.

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Un deuxième conseil que je donnerais, c'est procrastiner. Il faut réapprendre à mettre au lendemain quelque chose qui n'a pas lieu d'être traité immédiatement. Il faut stopper cette spirale infernale de l'immédiateté.

Merci beaucoup Fabrice Allegoet pour ces conseils très pratiques sur l'usage que l'on fait de nos mails et comment les limiter et quels sont les bénéfices, notamment pour notre santé.