
Jul 30 2022
Faire face aux fragilités sécuritaire, politique, économique et éducative par temps d’incertitudes
Vous avez participé, les 20 et 21 juillet derniers, à la conférence annuelle sur la paix et la sécurité en Afrique, APSACO, organisée par le think tank marocain Policy Center for the New South. Il a été question d’incertitudes et d’États fragiles, thème spécifique sur lequel vous vous êtes exprimé…
En effet. Cette conférence organisée par le Policy Center à Rabat promeut la prise de parole par des voix africaines diverses sur des sujets africains mais aussi globaux. On n’a pas échappé bien sûr à des échanges sur les conséquences de la guerre en Ukraine. Le contexte géopolitique mondial actuel souligne de manière spectaculaire les fragilités et les incertitudes partout dans le monde.
Il suffit d’observer les voyages répétés de chefs d’État ou de gouvernement de pays européens dans tous les pays qui disposent de potentiels importants d’exportation de gaz pour se rendre compte de l’angoisse énergétique chez les pays riches, où on a longtemps assez bien caché le coût énergétique et climatique réel du confort.
Pas de doute donc sur le fait que la fragilité n’est pas une exclusivité africaine, mais il ne faut pas se faire d’illusion non plus : face à la fragilité et aux incertitudes, ce qui fait la différence, ce sont les marges de manœuvre diplomatique, financière, monétaire et militaire des États et donc les forces et les faiblesses relatives des États. C’est aussi leur capacité à construire des consensus politiques minimaux internes sur les enjeux vitaux. Et c’est sur ce terrain-là que les pays africains affichent un degré de fragilité et de faiblesse très préoccupant.
Vous avez mis l’accent sur plusieurs dimensions et manifestations de la fragilité en Afrique de l’Ouest en particulier, en insistant sur la fragilité sécuritaire
Tout à fait. On a beau souhaiter donner une image positive de notre partie du monde mais il serait irresponsable de ne pas alerter sur le risque que la situation sécuritaire dans cinq ans soit beaucoup plus dégradée qu’aujourd’hui. J’ai rappelé à Rabat que l’extension du champ géographique de la violence en Afrique de l’Ouest au cours des dix dernières années a été spectaculaire. Personne n’avait anticipé qu’on en serait là au Burkina Faso et au Mali avec ce que cela implique pour les pays côtiers obligés de se lancer à leur tour dans le rééquipement précipité et forcément coûteux de leurs forces armées.
On oublie souvent dans les cercles francophones la dynamique tout aussi inquiétante du Nigeria, pourtant décisif pour les perspectives de sécurité régionale. Le bilan du président Buhari à la fin de ses deux mandats sera bien maigre, pour être aimable. Il suffit d’observer la banalisation de la violence, le cycle de règlements de comptes meurtriers, le business des kidnappings dans plusieurs États de la fédération. Il faut ajouter à cela la stabilité politique précaire de plusieurs pays d’Afrique centrale, où les présidences qui paraissent éternelles augurent de transitions incertaines et dangereuses.
Et vous avez aussi établi un lien qui est selon vous explicite et négligé entre fragilités sécuritaire, politique et économique et fragilité des systèmes éducatifs...
Tout à fait. C’est ce qu’on fait dans le domaine de l’éducation dans le sens le plus large du terme, qui fait le lien entre hier et aujourd’hui, entre aujourd’hui et demain. C’est ce qu’on met dans la tête des enfants et des jeunes comme savoirs, comme savoir-faire, comme savoir-être. Les comportements et les capacités des militaires comme les civils, des gouvernants et des gouvernés, sont tous le résultat de la manière dont leurs esprits ont été façonnés par l’éducation. On ne peut pas comprendre la faiblesse actuelle de nombre d’États, l’effritement de la cohésion intercommunautaire, la pénétration facile des groupes armés, les dérives des soldats qui commettent des exactions, sans interroger les systèmes d’éducation.
La fragilité éducative est un amplificateur des crises que nous connaissons. Une large partie des populations, et notamment les jeunes, sont nourris quotidiennement de fausses informations, de fausses images, de fausses vidéos, d’opinions d’influenceurs redoutablement efficaces dans le business de la désinformation. Tout cela fragilise encore davantage nos sociétés en attaquant les bases du raisonnement et de la réflexion. C’est un défi qui s’ajoute à tous les autres et qui n’est pas le moins redoutable.
Tous les panels de la conférence sont accessibles ici